ANDRÉ SIROTA
Que dire, que faire quand Jimmy renverse le banc public ?
Le 14 octobre 2023
Un petit événement minuscule. Peut-être, va-t-il vous intéresser ? Je vais vous en présenter un récit. Il s’est produit quelques semaines après les élections qui ont porté François Mitterrand à la présidence de la République et celles qui ont suivi, aboutissant à une majorité de députés formant une coalition de gauche autour du parti socialiste. Première alternance depuis longtemps. Une longue période de tensions s’achevait à peine, attisée par des oracles ayant annoncé que l’Union soviétique allait gouverner Paris, du fait de la présence probable de ministres communistes dans le futur gouvernement. Ce qui ne s’est pas produit. Depuis, il semble que les fournisseurs de pétrole ou métaux rares, aient eux, tout à fait réussi, par des influenceurs et de la corruption, à rendre les pays ouest européens, sans parler des autres, dépendants des autocrates y compris post-staliniens.
Les tensions politiques de la société et chaos mondiaux de l’époque ont aussi marqué les vies familiales. Pas moins hier qu’aujourd’hui. Il ne peut en être autrement. Nous ne vivons pas en vase clos, même quand on veut l’ignorer. Si la perspective d’alternance en 1981, tant attendue, a encouragé un regain d’espoir en faveur des classes laborieuses ou les moins fortunées, elle a été anticipée comme une menace sérieuse parmi les plus nantis des citoyens. Ce climat d’arrière fond était présent parmi les adultes, au moins lors de la préparation du séjour au cours duquel a eu lieu l’événement remarquable que je vais vous raconter. Nous allions encadrer ensemble durant l’été 1981, une colonie de vacances. Nous l’avons beaucoup préparée, pendant une année, avec de nombreuses réunions organisées et animées par des camarades militants et permanents des CEMÉA. Nous avions choisi les animateurs et animatrices repérés depuis deux ans ou plus, dont des jeunes membres des CEMÉA. C’est parce que je savais que nous allions consacrer le temps nécessaire pour créer notre groupe d’adultes, pour construire le projet de ce séjour, pour approfondir la connaissance que nous avions des uns et des autres, que je m’étais engagé. Ce temps est nécessaire pour créer les conditions de base utiles à l’édification d’une structure sociale et un collectif d’adultes capables d’accueillir, de contenir et, le cas échéant, de transformer constructivement, la co-excitation, parfois heureuse, parfois excessive et périlleuse, que crée la mise en groupe, celle des enfants, en particulier, alors qu’ils sont pour quelques temps transportés hors de leur milieu habituel.
Chère lectrice, cher lecteur, je ressens le besoin de préciser que c’est en tant qu’auteur, anthropologue et psychanalyste des groupes actuels que j’ai écrit le récit, que je vous confie ce jour.
Nous étions en centre de vacances d’enfants d’âge scolaire, de six à quatorze ans. À l’époque, nous avions la chance de pouvoir encore organiser et connaître l’un des derniers séjours d’été d’une durée d’un mois entier. Un temps suffisant pour faire vivre un autre climat possible de relations entre enfants et entre enfants et adultes, comme pour rendre ce séjour éducateur et émancipateur, comme l’avaient conçu et voulu les penseurs de l’Éducation nouvelle, dont étaient partie prenante les fondateurs des CEMÉA.
La colonie de vacances accueillait 130 enfants environ. Nous les avons répartis en trois grands groupes : les grands entre 12 et 14 ans, les moyens, entre 9 et 11 ans, les petits entre 6 et 8 ans. Nous étions trois à la direction, et chacun.e de nous trois était le référent et le soutien d’un grand groupe aux côtés des animatrices et animateurs. Mon autre rôle de base était celui d’assistant sanitaire. Une camarade était économe et veillait à ce que nous soient mijotés chaque jours de bons repas, bien équilibrés, était la référente d’un autre grand groupe. Le directeur en titre, était le référent du 3ème grand groupe et s’occupait notamment du linge. Nous luttions à notre manière contre la superposition et la confusion de la division technique et de la division socio-distinctive et hiérarchisante du travail. Comme il a beaucoup plu et qu’il a fait humide et parfois frais, j’ai accueilli beaucoup de monde à l’infirmerie, tant du côté des animatrices et animateurs, que du côté des enfants. Aussi avais-je vite appris à connaître presque tous les enfants par leur prénom.
La quatrième semaine de juillet 1981 commence. Nous allions profiter du premier jour de ciel bleu et de soleil, après trois semaines de pluies, quasi continues.
Il est autour de 14h30, les enfants sortent en courant joyeusement dans le parc du centre de vacances en s’éparpillant partout hors des bâtiments et des dortoirs, aménagés dans un château, après un moment calme. On sent la joie de voir enfin le ciel et le soleil au-dessus de la frondaison. Le bâtiment de l’infirmerie où je me tiens est sur un grand côté du parc, en rez-de-chaussée. La fenêtre de la grande salle de l’infirmerie, où je suis, est ouverte. Par celle-ci, j’observe la joie mais aussi l’agitation de certains enfants, comme s’ils sortaient d’une longue phase d’une forme de confinement et avaient besoin de courir, de se dégourdir, de se déchaîner, de brailler, de « s’éclater », dans tous les sens, courant, sautant en l’air. Je me dis : occasion idéale pour un accident. Je me tins prêt à intervenir. Je regarde par la fenêtre ouverte.
Quand un spectacle m’inquiète. Tout autour de la partie centrale, et pour partie boisée du grand parc sont des grands bancs publics comme on en trouvait autrefois dans les squares parisiens, on en trouve toujours, ceux-là ne sont pas scellés au sol.
Il faudrait aller dans un square avec trois enfants, une fille et deux garçons affichant un air heureux et devisant tranquillement, et prendre une photo avec des enfants assis sur le haut du dossier, celle-là n’étant pas nécessairement libre de droits.
Sur l’un d’eux, trois enfants d’une dizaine d’années se sont assis, non sur l’assise du banc mais sur le haut courbé du dossier, reposant leurs pieds sur l’assise du banc, cela leur permet de deviser tous les trois tout en s’étant élevés au-dessus du sol. Ils ont fait de ce banc central leur perchoir, ce qui leur donne une vue panoramique sur le parc, le haut du banc étant à environ 1 mètre de hauteur au-dessus du sol. Ils se montrent souriants et heureux. Quand, soudain, comme sorti de nulle part, je vois surgir Jimmy, par derrière. L’ayant reçu plusieurs fois à l’infirmerie, je connais Jimmy, un garçon de 13 ans et demi. D’un geste vif et brusque, il renverse le banc qui manque de justesse de cogner le corps, les bras ou les jambes, sinon la tête des 3 enfants, qui chutent à terre : 2 garçons et une fille, surpris de cette irruption. Toutefois, leur jeunesse, leur souplesse, leur réactivité ont fait qu’ils ne sont pas blessés. Je regarde alentour cherchant des yeux les animateurs ou animatrices des groupes d’enfants concernés. Je ne vois rien venir à l’horizon. Je décide de m’approcher sans attendre. Je sors d’un pas rapide de l’infirmerie et marche sur une distance de 25 à 30 mètres. J’accélère le pas, sans avoir en tête la moindre idée de ce qu’il était pertinent de faire. Les enfants me voient arriver. Ils s’observent. Ils m’observent, ne sachant que faire. J’apostrophe Jimmy de loin, sans trop me rapprocher de lui. J’augmente mon allure pour lui parler de plus près et qu’il puisse entendre ma voix, il se met à courir pour me distancer. Je fais semblant d’accélérer encore le pas. Il court plus vite. Même si j’avais été en mesure de courir plus vite que lui, c’était peut-être encore le cas à l’époque, il y a quarante-deux ans de cela, je me suis bien garder d’essayer. Une chose au moins était sûre, je n’avais pas la moindre intention de le courser. Je m’adresse à lui de loin par la parole. Il ne m’entend pas, mais ce n’est pas important. Il voit très bien que je lui parle, car, de temps en temps, il retourne sa tête vers moi pour évaluer la distance qui nous sépare. Je profite d’un passage près du banc et le redresse sur ses quatre pieds. C’est aujourd’hui seulement, alors que j’écris que je pense à son poids. Il était bien lourd. Il devait bien peser autour de 60 à 70 kilos. Avec les 3 enfants dessus, ça portait le poids à plus de 120 à 130 kilos, peut-être. Je me dis que Jimmy devait être habité par une sacrée rage pour pouvoir soulever le banc par son dossier et le renverser avec les 3 enfants dessus. Maintenant que j’y repense, je me rends mieux compte du risque encouru.
Une fois le banc renversé, les trois se réinstallent dessus. Je m’éloigne du banc. Jimmy revient. Je m’éloigne bien davantage. Il se rapproche à grande vitesse et renverse le banc à nouveau, alors que les enfants se sont assis à nouveau sur le dossier. Je me rapproche du banc à mon tour, et je le remets sur pieds. 3 ou 4 fois de suite. Puis, je m’éloigne à nouveau. Pendant ces premiers renversements et les redressements successifs du banc par mes soins, les 3 enfants ont fini par trouver une parade. Ils font alors semblant de ne pas voir Jimmy, mais le surveillent du coin de l’œil et s’apprêtent à sauter du banc tout en en s’en éloignant du même geste, avec adresse, avant que Jimmy n’ait complètement accompli sa manœuvre. Je savoure l’instant en silence et je me sens admiratif devant leur invention.
Je me rapproche lentement à nouveau, étant maintenant assuré et rassuré de la transformation de la situation. Jimmy s’éloigne. Je redresse encore une fois le banc. Après plusieurs répétitions de cette scène, je n’ai plus à agir sur le banc. En effet, les trois enfants, après s’être projetés eux-mêmes hors du banc et à distance de celui-ci, avec vivacité et adresse, s’emploient tous les trois ensemble, mobilisant et joignant leurs forces, à remettre eux-mêmes le banc sur ses pieds et à sa place initiale. Maintenant que j’y repense, je me sens encore plus admiratif que je ne l’ai été sur le moment. Je me dis qu’ils n’ont pas ménagé leurs efforts pour se mettre en synergie et relever le banc, bien lourd pour eux. D’autant qu’à chaque renversement brutal, le banc s’était déplacé de 50 à 60 centimètres.
Cette scène, dans sa répétition et ses évolutions, a duré trois-quarts d’heure. Au bout de ces trois-quarts d’heure, Jimmy cesse de renverser le banc public. Je fais mine de me rapprocher de lui, mais pas trop, il cesse de s’enfuir sans consentir que l’on soit trop proche encore. Il se détend. Il ne me fuit pas non plus du regard. Il laisse poindre un sourire apaisé sur son visage qu’il retient encore un peu. Je ne lui en demande pas plus. Je lui dis à 4 ou 5 mètres de lui que ce serait bien que nous parlions ensemble. Je lui souris, sans excès.
Si pendant les trois semaines précédentes, j’avais eu plusieurs fois à intervenir et à endiguer sa violence pulsionnelle, hors de l’infirmerie, lors de cette dernière semaine, Jimmy a cheminé apaisé et n’a plus fait parler de lui, ce que son animateur m’a confirmé. Dans ce scénario décrit, il ne pouvait être question d’échanges de mots avec Jimmy. Je me suis interposé à distance et les enfants se sont sentis sécurisés et protégés par ma présence et ont commencé à transformer la violence brute en jeu avec l’objet et avec Jimmy, en l’invitant indirectement à jouer avec eux, car ils ont compris qu’ils n’avaient pas à avoir peur. Jimmy a compris qu’il peut inspirer d’autres affects que la peur et qu’on peut jouer avec lui et qu’il peut jouer avec de plus petits que lui. Qu’un espace commun de jeu avec les autres est possible.
Soulignons maintenant qu’il y a eu une prise en charge groupale de la violence agie par Jimmy et de la violence subie par les trois enfants, et de son scénario de provocation des adultes, alors que la joie dominait chez les autres. Jimmy a vu les autres heureux. C’était peut-être insupportable pour lui. Cette explosion de bonheurs bien visibles éclairés par le ciel bleu et le soleil qui brillait enfin, venait sans doute faire contraste avec son état intérieur. Il lui fallait supprimer l’air heureux. Bonheur auquel il n’avait pas accès. Sans pouvoir échanger de mots, par la seule gestuelle physique, comme un dessin tissé dans l’espace, nous avons esquissé une figure de squiggle winnicottien. Jimmy a été invité, sans précipitation, à s’inclure dans un espace potentiel commun, construit avec lui, patiemment et non-intrusivement. Une expérience nouvelle pour lui et pour nous aussi, d’une certaine façon. Ce jeu inventé ici et maintenant, en groupe, en pleine incertitude de son succès à venir, l’a certainement touché quelque part, au bon endroit. Il nous rappelle ce que nous avons lu dans les travaux de Winnicott (1971[1] & 1951[2])
Nous avons construit à plusieurs, un espace potentiel commun. Personne ne s’est substitué aux enfants pour résoudre et dépasser la difficulté dont ils vivaient l’épreuve. Eux aussi ont vécu un évènement important, ils ont appris et compris qu’ils avaient la capacité à plusieurs de créer des parades et de domestiquer la violence brute, par eux-mêmes.
Cette scène a pris pour moi le statut de mise à l’épreuve d’une hypothèse, par une épreuve de réalité et en a établi la validité, la vérification. Quelle est cette hypothèse théorico-clinique ? Le groupe dans lequel émerge une difficulté, une menace, un éprouvé d’insécurité est le lieu privilégié et l’instance dans lesquels la prise en charge du problème doit et peut être assurée. Le groupe confronté à un problème est le lieu de son traitement. Il doit trouver en lui, c’est-à-dire en ses membres, en coopération, des ressources pour résoudre créativement le problème. Certes, la présence d’un adulte capable de répondant ou d’une personne susceptible de faire tiers est importante, absolument nécessaire si ce sont des enfants. Celle-ci n’a pas à se substituer aux membres du groupe pour traiter à leur place le problème.
Quand on prend en charge un problème, en en déplaçant ailleurs son lieu de traitement, on spolie les premiers concernés de la mise à l’épreuve de l’apprentissage de leur capacité d’agir et de l’exercice de leurs responsabilités. On prive ainsi les participants de leur statut de sujet de groupe et de sujet social, on les empêche de connaître l’expérience partagée d’une recherche coopérative des modes de faire à inventer pour résoudre et surmonter les difficultés inhérentes aux choses de la vie. On les empêche de bénéficier de l’occasion d’apprendre à développer des compétences sociales, individuelles et collectives utiles pour être et faire avec les autres (Falla & Sirota, 2012)[3].
Une semaine avant cet épisode, je m’étais invité pour une veillée d’activités de jeux collectifs organisée en intérieur, pour le grand groupe dont faisait partie Jimmy. Grand groupe dont j’étais le référent. La journée avait été pluvieuse et pénible pour tout le monde. Je venais soutenir l’équipe des animatrices et animateurs, afin de ne pas les laisser seuls dans l’épreuve.
Vient la proposition du jeu qu’on appelle parfois la baguette magique. Nous avons formé un grand cercle d’une quarantaine d’enfants ce 12 à 14 ans. Plus nous, les adultes. Nous étions quatre. Nous sommes assis en cercle sur des bancs et des chaises ; proches les uns des autres pour tenir tous dans la salle. Je suis assis, par hasard juste à côté de Jimmy. Ce soir-là, la baguette magique est un manche à balai d’une longueur d’un mètre cinquante environ. Quand on reçoit le manche à balai dans ses mains, on doit se lever se mettre au milieu du cercle et mimer un geste, une activité, sans dire un mot, en s’assurant d’être bien visible de tout le monde, celle ou celui qui devine la bonne réponse prend la place centrale et mime à son tour quelque chose que nous cherchons à identifier.
Il se trouve que c’est à moi de mimer sans parole un geste, une activité. Je fais alors semblant de me servir du manche à balai comme d’une brosse à dent. Mon expérience du jeu m’a fait choisir un geste que l’on peu reconnaître aisément afin que la baguette magique passe vite de mains en mains, et que tout le monde joue. Évidemment le mouvement de la brosse à dent avec un manche à balai n’était pas évident à produire. Il suscite aussi bien des rires, ce jeu est aussi destiné à faire rire ensemble, car je ne peux pas faire entrer vraiment le manche dans ma bouche. Je fais semblant. Mais ce mouvement de va-et-vient a sans doute inspiré Jimmy. Il devine et triomphant le lavage des dents. Il vient chercher le manche à balai. Je le lui remets et vais m’asseoir. Au lieu de rester au milieu, il retourne sur sa chaise, à côté de moi, attend que le groupe de regarde place le manche à balai entre ses jambes et simule la gestuelle de sa masturbation. S’excitant. Par un heureux hasard et la rapidité de l’éclair, ce n’est pas toujours le cas, dommage, je lui dis :
« Heureusement que tu n’en as pas une longue comme cela, sinon, tu ne saurais pas où la mettre dans ton pantalon ».
Les dixièmes de seconde de mon hésitation à dire cela m’ont paru très très longs. Il fallait dire vite cette pensée, sans temps de latence. Mais, je n’en ai pas eu instantanément l’audace. Puis, j’ai surmonté ma réticence. Le temps de latence a été imperceptible pour les autres. Pas pour moi. J’ai eu peur que le temps soit trop long et qu’il soit soudain trop tard pour dire. IL y a un moment opportun pour le dire. Il ne faut pas le précéder, ni le laisser passer.
Ce moment de dire, cet instant du dire qu’il ne faut pas laisser passer, n’est pas aisé à agir. En m’entendant, Jimmy a cessé le geste de la masturbation et n’avait qu’une hâte : se débarrasser du manche à balai au plus vite. Il ne savait plus où se mettre après m’avoir entendu. Cette expérience m’a suggéré un exercice dont je me sers dans des sessions de formation. Je plante le décor d’une scène qui commence et formule un propos de quelqu’un qui s ‘adresse à vous, alors que vous êtes deux ou en groupe et qui vous dit quelque chose de heurtant, d’agressant, de choquant. Je demande aux stagiaires ensuite d’écrire ce qu’ils imaginent qu’ils répondraient du tact au tact s’ils étaient l’interlocuteur de cette personne qui leur aurait parlé ainsi, dans un contexte précis. Puis, je demande à chacun.e de dire ce que chacun.e a écrit. Nous écoutons. Une discussion très stimulante s’engage qui peut durer et donner lieu à de nombreux prolongements. La conclusion générale est que nous avons à apprendre à penser et à parler en nous adressant à quelqu’un, en particulier, qui est là avec nous.
Pour trouver quoi dire et le ton de la voix pour le dire, en jouant au sens winnicottien, pour ce qui me concerne, sans aucun doute, ma formation de psychodramatiste et mon expérience du psychodrame psychanalytique de groupe m’ont servi et mon expérience de l’encadrement des enfants aussi. En effet, j’ai appris que, lorsque des enfants vivent de crises, dont on peut parfois découvrir la source ensuite, il suffit d’être patient et d’attendre, de se rapprocher d’eux, mais pas trop, d’être là et de leur faire sentir qu’on a du répondant et qu’ils peuvent s’appuyer sur nous, sans crainte de ruses suivies de représailles. Et, au bout d’un certain temps, j’ai vu bien des enfants commencer à me parler puis s’apaiser. Il ne faut pas être pressé. Dans nombre d’analyses de situation avec des équipes encadrant des enfants, bien des récits d’éducateurs ou de professeurs ont consolidé cette conviction : il nous faut être patient et compter sur le groupe.
Je pense aussi au harcèlement entre jeunes, à l’école. Si l’on veut vraiment prendre à bras le corps ce phénomène de persécution, qui n’est nouveau que par les procédés techniques auxquels les auteurs ont recours à l’encontre de leurs victimes, nous savons comment il faut s’y prendre. Vous le saurez en relisant ce texte et si vous n’y arrivez pas je vous propose de m’écrire puis de venir parler avec moi. Bien entendu, il s’agit aussi d’un phénomène social qui trouve ses racines dans les modèles d’identification (Sirota, 2003[4], 2006[5]) qui sont valorisés et proposés sans honte et sans culpabilité à la jeunesse comme aux moins jeunes.
[1] – Donald Woods Winnicott, 1971. Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris, Gallimard, 1975.
[2] – Winnicott D.-W., 1951, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 183.
[3] – Falla, W. & Sirota, A. (2012). Être et faire avec les autres, Faire équipe, Nouvelle Revue de Psychosociologie, érès, N° 14, p. 175-191.
[4] – Sirota, A. (2003). Quand gruger est repère d’identité ou quand la force brute s’impose dès l’école,
reste-t-il quelque chose à dire et à faire ? Vers l’Éducation Nouvelle, CEMÉA, (N° 512, Novembre 2003, p. 56-77.
[5] Sirota, A. (2006). Quand gruger autrui est le modèle, L’angoisse du risque et les paradoxes de la responsabilité, Nouvelle Revue de Psychosociologie, Ramonville-Saint-Agne, érès, N° 2, p. 131-150.