Tentative de lynchage public à la Maison Blanche et à la face du monde, via la télévision et sa mise en échec par la malice et la solidité de l’être humain pris pour cible
Dommage que certains des premiers commentateurs n’aient rien vu.
Une semaine avant le 8 mars : Journée internationale des droits des femmes, si vous avez regardé un écran, vous avez pu voir des moments d’une scène de groupe et entendre « des instants du dire » dans un groupe. Qu’est-ce qu’un instant du dire dans un groupe ? Il y en a plusieurs types.
Il y a des dire qui plongent dans le marasme, la stupeur, précipitent dans un No Man’s Land, un monde sans foi, ni loi, où la levée des interdits fondateurs de société a été instaurée, oùune perte des repères habituels du jugement a été provoquée, via une forme d’état d’hypnose collective. Ainsi anesthésiés, les individus ont été comme débarrassés de leur esprit, ce qui permet de les pousser dans une folie collective. Dans cette occurrence, les participants, agglutinés en un groupe dédifférenciant et décérébré, peuvent alors commettre crimes et délits, des plus cruels, des plus abjects, quand l’injonction leur est donnée.
Et, il y a des instants du dire qui réveillent, éclairent la nuit dans laquelle un groupe et ses participants viennent d’être séquestrés.
Les dire qui éclairent font sortir individus et groupes du marasme. Ils permettent de se redresser et de faire face à l’abjection et l’inacceptable et de neutraliser leur artisan. Encore faut-il qu’individus et groupes ne soient pas trop engagés, à leur insu ou non, dans une complicité active ou même passive avec leur prédateur.
Or, le 1er mars 2025, ou la veille selon les fuseaux horaires, nous avons entendu deux types d’instants du dire, diamétralement différents.
Avez-vous vu la scène de groupe sur un écran, où l’on aperçoit, à Washington, dans le palais présidentiel, Volodymir Zelensky, président de l’Ukraine contrainte de se défendre contre l’ogre post-soviétique, admirateur de Staline, et Donald Trump, président de ces États-Unis d’Amérique du Nord, entouré d’une dizaine de personnes apparemment impeccablement costumés ? On entend Donald Trump qui s’adresse en anglais à Volodymir Zelensky. En substance, Trump dit à Zelensky :
« Vous nous offensez, vous êtes ici dans le palais présidentiel des États-Unis d’Amérique. Vous ne respectez pas ce lieu sacré. Vous êtes mal habillé. Vous auriez dû venir ici en costume et porter cravate, comme nous tous ici. »
Pendant que Volodymir répond en anglais, nous entendons la traduction. En même temps, nous entendons un commentaire de journaliste qui affirme que Trump a humilié Zelensky. Ça me rappelle le jour où Ariel Sharon a commenté un évènement au cours duquel une habitante d’une colonie sauvage de peuplement en Cisjordanie, a giflé un haut gradé de l’armée qui était venu avec des soldats pour déloger une petite colonie illégale. Et Sharon de dire dans les médias que l’armée israélienne avait été humiliée. Ce jour-là, Ariel Sharon a fait une grave erreur de lecture et d’énonciation. Il aurait dû dire : « Ce soldat a fait honneur à l’armée israélienne en restant imperturbable et en ne répondant pas à une provocation aussi stupide qu’irresponsable » Il aurait pu ajouter que le colonel aurait pu aussi faire arrêter cette dame sur le champ, en flagrant délit, pour avoir enfreint la loi et commis un acte de violence sur personne représentant l’autorité publique. Je n’ai entendu aucun commentaire de ce genre dans les médias.
Revenons au bureau ovale.
Pendant qu’une voix commente et qualifie Zelensky d’humilié, dans quel « groupe » sommes-nous, dans quel groupe Zelensky se trouve-t-il ? Sur quelle scène de groupe joue Trump ? Et que dit Zelensky ?
Il tient une réplique qui aurait dû, elle, recevoir un large écho dans les médias, pour faire de cette parole un événement. Ils n’ont fait que la dire à bas bruit.
En son habit de soldat, Zelensky était humble, respectueux des Ukrainiens, des vivants et des morts, les représentant. Il a montré qu’il avait l’esprit d’à-propos, et qu’il était doué d’un calme olympien. Alors qu’il était apparemment seul contre tous, il ne s’est pas laissé impressionné par la scène de groupe. Il n’a pas perdu de vue qu’il parlait au monde entier et que le salon ovale n’était qu’un réduit minuscule dans un ensemble bien plus vaste de groupes emboîtés. Il n’était pas seul psychiquement et culturellement, s’il était seul physiquement. Une grande partie du monde était avec lui dans ce salon ovale. Il n’a été en aucune façon humilié, même si c’était peut-être l’intention de Trump. Ce que je ne pense pas. Nous y reviendrons plus loin.
À titre personnel, on ne peut se sentir humilié que par une personne qui dérape, mais mérite ou a mérité notre estime. En outre, quand l’impétrant humiliateur est aussi président d’un pays qui veut se hisser à la stature du plus grand humiliateur de tous les temps, il faut qu’il mérite, malgré tout, l’estime de nombre de citoyens, y compris de celles et ceux qui n’ont pas voté pour lui. Ce n’est nullement le cas pour Trump.
Celle ou celui qui se sent humilié par une personne comme Trump doit se demander pourquoi. Puisque Trump Donald, se conduit comme un grand délinquant qui a besoin de jouir à chaque instant aux dépens des autres en manipulant les plus « bas instincts » de « la populace », pour reprendre de terme dont Hannah Arendt a usé, en une autre époque.
C’est, par hypothèse, la seule jouissance à laquelle il ait accès : jouir aux dépens des autres. Comme on sait aussi que seul un plaisir partagé est humanisant, c’est-à-dire un plaisir que l’on éprouve parce qu’un autre et plus d’un autre avec nous l’éprouvent aussi parce que nous avons su coopérer et être créatifs ou productifs ensemble, et que seul ce type de plaisir est humanisant. On comprend la profondeur de l’abîme où se sont précipités des individus qui fonctionnent comme Trump.
La question se pose de savoir quelle est la scène sociale dont il a besoin pour continuer à jouir aux dépens des autres ? La réponse est qu’il a constamment besoin d’une scène plus vaste. C’est pourquoi, il aspire à être le maître du monde, et quand le monde sera à ses pieds, Elon Musk lui proposera la lune et l’univers entier. Il prépare sans doute une fusée pour cela. Mais, après chaque nouvelle apogée atteinte, une plus haute et plus vaste encore sera impérativement nécessaire à Trump.
Qu’a dit Zelensky à l’auditoire local qui lui était hostile et à Trump, après qu’il ait été le destinataire apparent d’un jugement délibérément désobligeant ? Trump ne l’a prononcé qu’à l’intention exclusive d’un auditoire absent mais traduisant pour lui son imaginaire de de la planète entière, car c’est d’elle dont il a besoin pour la soumettre à son désir.
En substance, Zelensky a déjoué la provocation de Trump, il n’a pas répondu par réaction, il a dit ce qu’il voulait dire à Trump et ses comparses, dont quelques-uns étaient, semble-t-il, fort mal à l’aise, face aux coups de bélier successifs de Trump, qui a besoin de pousser toujours plus loin le bouchon après chaque pas accompli. Jusqu’où devra-t-il aller pour que quelqu’un enfin se lève et l’arrête ? C’est vraisemblablement ce qu’il a fait toute son enfance et adolescence, pendant laquelle, sans doute, il n’a jamais croisé que des gens sans capacité de présence.
« Oui, — lui a dit en substance Zelensky —je resterai habillé comme je le suis, tant que la guerre durera. Quand elle sera finie, je porterai un costume, une chemise blanche et une cravate comme les vôtres. Et, sans doute même un habit bien plus beau que les vôtres, et certainement moins cher.»
C’est ce propos, bien sobre mais d’une grande malice, que les commentateurs auraient dû mettre en exergue et en valeur, montrant un être humain qui a un esprit et de l’esprit, plutôt que de zoomer sur un ogre attardé du Moyen-âge qui ne peut vivre qu’en dévorant autrui.
Les commentateurs de l’actualité, qui ont qualifié d’humiliants les propos virtuellement adressés à Zelensky, se sont gravement trompés. En effet, Trump ne parlait pas à Zelensky, qui le dérange, car il n’est pas soumis et sait qu’il ne pourra pas le soumettre. Trump ne parle qu’aux assujettis des téléspectateurs, un très vaste ensemble flou. Les journalistes et commentateurs de l’actualité qui, sur les ondes, qualifient Trump de grand humiliateur se mettent au service du fantasme trumpien et de sa jouissance qu’ils ont décuplée. Ils sont tombés dans le piège. Ils peuvent en sortir.
Homme animé d’une éthique de conviction, Zelensky n’a pas craint de venir dans cette souricière qu’est devenu le salon ovale et a provoqué une sortie du bois qui a révélé davantage au grand jour la personnalité vulgaire et bien déficitaire du président Trump. Était-ce la saillie de trop ? Ou devra-t-il aller plus loin encore pour que les citoyens de son pays se lèvent et le révoquent ? Attention, à cette échelle, il n’engage pas que lui.
Pour qu’un instant du dire dans un groupe donne les effets qu’il peut donner dans le sens du vivant, encore faut-il un groupe qui ne soit pas encore décervelé. Nombre de gens devraient apprendre à commenter et à nommer bien autrement l’actualité, pour aider les citoyens à ne pas perdre l’esprit.
En guise de conclusion provisoire
Je propose que les pays européens se mettent d’accord et appellent les citoyens des Etats-Unis d’Amérique du Nord, à revenir en Europe ou ailleurs, d’où leurs ancêtres sont venus. Je pense à celles et ceux qui sont stupéfaits de la dérive actuelle de leur pays, alors qu’il a fait fonction de modèle de référence pendant des années, même si, bien entendu, rien n’est parfait. Il a servi de rempart contre la barbarie,. Depuis le 28 février 2025, il a perdu, pour un certain temps, cette place prestigieuse.
Les pays européens devraient dire qu’ils sont prêts à accueillir en Europe tous ceux et celles qui ont entretenu en eux un esprit et refusent de continuer à se morfondre après l’élection de Trump et le renoncement de nombre de Républicains à la dignité. Chaque période connaît des exils nécessaires, quand on est du côté du vivant et de l’humain, encore faut-il avoir une terre d’accueil où l’on peut se réfugier et se reconstruire avec l’aide des autres.